Réduction des risques et minorités vulnérables

Médecins du Monde et PICUM alertent sur le risque que le nouveau règlement européen sur les migrations mette en péril les soins de santé

En mars 2025, la Commission européenne a proposé un règlement sur les retours, étendant la rétention administrative, l'expulsion, l'externalisation, le profilage racial et la surveillance des personnes migrantes sans papiers. Dans un nouveau rapport, le Réseau international de Médecins du Monde et PICUM alertent sur le fait que cette proposition menace le droit à la santé et viole l'éthique médicale. Les deux organisations exhortent les législateurs européens à la rejeter et à promouvoir des politiques migratoires fondées sur les droits, qui protègent les personnes plutôt que de les punir. 

 

La proposition de la Commission européenne facilite la collecte, l'accès et l'échange de données sur la vulnérabilité, la santé et les besoins médicaux des ressortissant·es de pays tiers, entre autres informations, entre les États membres de l'UE (article 38) et entre les pays membres et les pays tiers afin de mettre en œuvre des opérations d'expulsion (articles 39 et 41). 

Les décisions relatives au transfert des données personnelles, y compris les données sensibles sur la santé des ressortissant·es de pays tiers sont laissées aux autorités nationales et, le cas échéant, à Frontex. Aucune mention n'est faite des professionnel·les de santé indépendant·es, des autorités de protection des données ou du contrôle judiciaire dans l'évaluation des risques ou la justification du transfert de données. Lorsque des données sont partagées en dehors de l'UE, les personnes risquent de voir leurs données personnelles utilisées à mauvais escient dans des pays où la protection des droits humains n’est pas garantie.

Cette proposition est en contradiction directe avec l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE et le Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui garantissent le droit à la vie privée et à la protection des données personnelles pour toute personne résidant dans l'UE, y compris les personnes sans papiers. 

Dans de nombreux arrêts, depuis au moins 2000, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que la collecte ou le stockage de données de santé par les autorités publiques, même si elles ne sont pas utilisées, porte atteinte au droit à la vie privée (article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme) et viole le secret médical. 

Les professionnel·les de santé et les organisations de la société civile ont également contesté les politiques européennes et nationales de contrôle des migrations et d'expulsion qui compromettent le droit à la santé et compromettent l'intégrité du personnel de santé. 

En 2024, le Comité permanent des médecins européens, qui représente les associations médicales nationales de toute l'Europe, a dénoncé les pressions gouvernementales exercées sur les médecins dans le but de rompre le secret médical et de divulguer les noms des patient·es sollicitant leurs soins afin d'identifier les personnes migrantes sans papiers.

En Italie, des militantes et militants demandent aux médecins de cesser de déclarer toute personne apte à la détention. En Belgique, Médecins du Monde et d'autres ONG ont saisi la Cour constitutionnelle d'une loi autorisant la coercition physique pour les examens médicaux obligatoires lors des procédures de retour en cas d'urgence sanitaire déclarée par l'OMS. En Suède, plus de 4 000 professionnel·les de santé se sont engagé·es à commettre une désobéissance civile et à refuser de signaler leurs patient·es si le gouvernement instaure des obligations de signalement dans le secteur de la santé. 

Outre les préoccupations liées au partage des données de santé, le projet de règlement met en péril la santé et le bien-être des personnes de plusieurs manières : 

  • Ce projet appelle à une intensification de la détention des personnes migrantes dans l’UE, y compris pour les enfants (malgré les normes internationales indiquant que la détention des enfants n’est jamais dans leur intérêt supérieur), en élargissant les motifs de détention et en prolongeant sa durée maximale de 18 à 24 mois. Les recherches montrent que toute période de détention des personnes nuit à leur santé physique et mentale, et divers organismes et tribunaux internationaux ont souligné les effets disproportionnés de la détention des personnes migrantes sur la santé physique et mentale.
  • Ce projet exige uniquement la fourniture de « soins médicaux d’urgence » et de « traitements essentiels des maladies » (article 34) dans les centres de détention de personnes migrantes, et ignore largement les normes de détention au-delà de l’obligation générale de fournir un accès à un « espace extérieur » (article 34).
  • Il élargit les motifs d’expulsion forcée, y compris par des mesures coercitives (article 12(4)), sans tenir compte des besoins médicaux pendant les procédures d’expulsion, et aux pays où les personnes risquent d’être victimes de torture ou d’autres formes de violence. Le texte autorise également la création de centres d'expulsion hors de l'UE, avec un contrôle flou sur les conditions de détention et les normes en matière de droits humains.
  • Il prône explicitement la détection des personnes en fonction de leur statut de résident·e (article 6), favorisant ainsi le harcèlement, la violence et le profilage racial. 

PICUM et Médecins du Monde appellent les législateurs européens à rejeter ce texte et à défendre le droit universel à la santé et à respecter l'éthique médicale ; à promouvoir des voies de migration sûres et régulières ; et à garantir l'accès à des titres de séjour sûrs. 

La commission des libertés civiles du Parlement européen devrait commencer à discuter de sa position de négociation en novembre. Le Conseil de l'UE devrait voter sur sa position de négociation d'ici fin 2025.

 

CITATIONS 

Federico Dessi, directeur de Médecins du Monde Belgique, déclare : « Transformer les soins de santé en outil de contrôle migratoire constitue une violation flagrante de l’éthique médicale et compromet la sécurité des patientes et patients. Les médecins et les professionnel·les de santé sont tenu·es à un devoir de diligence et de confidentialité, mais l’utilisation de données médicales sensibles à des fins d’expulsion et d’examens médicaux obligatoires porte directement atteinte à ce devoir. Si les patient·es craignent que la recherche de soins les expose à une expulsion, iels retarderont ou éviteront carrément les soins, avec des conséquences dévastatrices pour la santé individuelle et publique. Parallèlement, l’extension de la détention des personnes migrantes, malgré les dommages bien documentés pour la santé mentale et physique, expose les personnes à un risque encore plus grand. Nous exhortons les législateurs européens à rejeter les mesures qui compromettent l’intégrité médicale et le droit à la santé pour tous et toutes. » 

Louise Bonneau, chargée de plaidoyer chez PICUM, déclare : « Les mesures punitives en matière d’immigration ont déjà coûté des vies. L’histoire montre où mène la persécution, et ce règlement sur l’expulsion risque de répéter ces erreurs : il isole les personnes, bloque l’accès aux soins et porte atteinte à la santé publique. Les législateurs européens doivent y mettre un terme. »

 

NOTES AUX ÉDITEURS 

  • Une copie du rapport est disponible ici.
  • Le nombre de personnes en situation irrégulière en Europe est incertain et les estimations varient. Des recherches récentes suggèrent qu'entre 2,6 et 3,2 millions de personnes migrantes sans papiers résidaient dans 12 pays européens (dont le Royaume-Uni) entre 2016 et 2023. Ces estimations placent les personnes migrantes en situation irrégulière à moins de 1 % de la population totale, et entre 8 % et 10 % d'entre eux sont nés hors de l'espace Schengen (pour les pays de l'UE) ou de l'espace commun de voyage (pour l'Irlande et le Royaume-Uni).
  • Ce rapport fait suite à une récente déclaration de plus de 240 organisations appelant les législateurs et les États membres de l'UE à rejeter le projet de règlement sur le retour.

 

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