
À quoi ressemblera le système de santé belge sous le prochain gouvernement ?
À quoi ressemblera le système de santé belge sous le prochain gouvernement ? Quelles mesures issues de l’accord gouvernemental faciliteront — ou, au contraire, entraveront — notre accès aux soins ? Les groupes les plus vulnérables, tels que les personnes sans-abri, vivant dans la précarité ou sans papiers, ont-ils été suffisamment pris en considération ?
Bonjour Joris, qu’est-ce qui t’a le plus frappé à la lecture du chapitre sur la santé de l’accord de gouvernement, et qui, selon toi, influencera notre système dans les années à venir ?
Joris : Avant toute chose, il me semble essentiel de rappeler la complexité inhérente à notre système politique, où les compétences sont éparpillées entre de multiples niveaux de pouvoir. Il en va de même pour l’organisation des soins de santé, partagée entre le fédéral, les communautés et les régions. De façon schématique, le fédéral prend en charge les soins curatifs, tandis que les régions se consacrent à la prévention. Historiquement, la Belgique s’est illustrée dans le domaine des soins curatifs, mais la prévention et la promotion de la santé restent des chantiers inachevés. La coordination et la concertation entre ces deux volets font cruellement défaut. La crise du COVID-19s a d’ailleurs mis en lumière ces failles structurelles.
Comment ces dysfonctionnements se sont-ils manifestés concrètement ?
Joris : Durant la pandémie, il était souvent difficile de déterminer qui était responsable de quoi. Pas moins de huit ministres se partageaient la politique de santé, générant retards et inefficacités. Le manque de coordination entre prévention et traitement était patent. Nous disposions d’un nombre impressionnant de lits en soins intensifs, bien supérieur à celui de nos voisins, mais nous avions toutes les peines du monde à atteindre certains publics avec des campagnes d’information ou de prévention.
Que nous indique le nouvel accord de gouvernement quant à l’avenir des soins de santé ?
Joris : On peut constater que certaines leçons ont été tirées. L’accord affiche la volonté de renforcer la coordination entre prévention et soins curatifs, en développant des « parcours de soins intégrés ». L’objectif est de mieux articuler les différents niveaux de soins afin de fluidifier la prise en charge et d’en améliorer l’efficacité.
Historiquement, la Belgique s’est illustrée dans le domaine des soins curatifs, mais la prévention et la promotion de la santé restent des chantiers inachevés. La crise du COVID-19s a mis en lumière ces failles structurelles.
Quels sont, selon toi, les principaux obstacles à une prise en charge adaptée de ces groupes ?
Joris : Un progrès notable réside dans la reconnaissance du fait que les soignant·es doivent pouvoir consacrer davantage de temps aux situations complexes, et que cela soit enfin pris en compte dans leur rémunération. Par ailleurs, le gouvernement entend poursuivre la digitalisation des soins. Nous n’y sommes pas opposé·es — au contraire, cela peut améliorer le suivi et la qualité des soins. Mais il faut rester vigilant : la numérisation peut également engendrer de nouveaux obstacles. Aujourd’hui, les personnes dépourvues de carte d’identité n’ont pas accès à des plateformes telles que Masanté.be. Sur le terrain, nous constatons que la complexité administrative et numérique est parfois invoquée par le personnel soignant pour refuser des patient·es. Il est donc impératif que les innovations numériques soient accessibles à tous et toutes, y compris aux personnes sans papiers. On pourrait, par exemple, envisager une carte de soins spécifique, assortie d’un numéro de patient dédié.
L’accès aux soins demeure très limité pour les personnes sans papiers. Peut-on espérer une amélioration sous ce gouvernement ?
Joris : Malheureusement, c’est un sujet de profonde préoccupation pour nous. L’accord de gouvernement témoigne d’une grande méfiance, mettant l’accent sur la lutte contre les abus potentiels de la part des personnes sans titre de séjour. Mais ce n’est pas le bon combat. Les études démontrent que les personnes sans papiers ne viennent pas en Belgique pour profiter du système de santé. En réalité, seuls 20 % de celles qui y ont droit consultent effectivement un médecin. Nous ferions mieux de nous intéresser aux 80 % qui, faute d’accès, renoncent aux soins. Beaucoup attendent trop longtemps, voient leur état se dégrader, développent des maladies chroniques ou finissent aux urgences — ce qui, finalement, coûte bien plus cher à la société. Si l’on souhaite réellement plus d’efficacité et d’économies, il serait plus judicieux d’intégrer ces publics vulnérables, plutôt que de se focaliser sur des abus marginaux. La pandémie a d’ailleurs illustré l’importance d’un accès universel aux mesures préventives comme les vaccins, les masques et les informations fiables. Exclure certaines personnes de l’accès aux soins, c’est franchir une limite éthique et mettre en péril la santé de tous et toutes.
Les études démontrent que les personnes sans papiers ne viennent pas en Belgique pour profiter du système de santé. En réalité, seuls 20 % de celles qui y ont droit consultent effectivement un médecin. Nous ferions mieux de nous intéresser aux 80 % qui, faute d’accès, renoncent aux soins.
La santé mentale des personnes en situation de précarité — sans-abri, sans papiers, Belges vivant dans la pauvreté — demeure un enjeu majeur, alors même qu’elles en auraient le plus besoin. L’accord prévoit-il des avancées en la matière ?
Joris : Certains éléments sont encourageants, notamment le déploiement de psychologues dans des lieux fréquentés par les publics vulnérables comme les CPAS ou les initiatives d’outreach (qui vont à la rencontre des publics en situation de vulnérabilité). Cela facilite indéniablement l’accès aux soins psychologiques. Mais pour que l’impact soit réel, il faut prévoir un encadrement adéquat pour ces psychologues, ainsi que des budgets suffisants pour les interprètes, lorsque les personnes sont d’origine étrangère. J’ajouterais, de plus, que la politique très stigmatisante en matière de drogues, telle que reprise dans l’accord, va à l’encontre d’une approche efficace en santé mentale et en addictologie.
Y a-t-il d’autres points qui méritent d’être soulignés ?
Joris : Le financement de la médiation interculturelle, des experts du vécu et des travailleur.euses de santé communautaire est explicitement mentionné dans l’accord, ce qui constitue une avancée, tant leur impact sur le terrain n’est plus à démontrer. Reste à voir comment cela sera concrètement mis en œuvre, et quels moyens financiers seront effectivement alloués.
La première ligne de soins est-elle suffisamment soutenue ?
Joris : On observe une pression croissante sur la première ligne, avec, partout où nous sommes présent·es, des pénuries de généralistes et de dentistes. Les durées d’hospitalisation se réduisent au nom de l’efficacité, si bien que des patients et patientes sortent sans être totalement rétabli·es. C’est particulièrement préoccupant pour les personnes vulnérables, qui se retrouvent parfois contraintes de se rétablir dans la rue, faute de solution de logement. À Bruxelles, il manque cruellement de lits médicaux pour personnes sans-abri, et à Charleroi, il n’en existe même pas. Partout, on constate que lorsque la pression devient trop forte sur la première ligne, ce sont les patients et patientes les plus fragiles qui se retrouvent exclu·es, leurs besoins étant jugés trop complexes ou atypiques.
Pour conclure, quel regard portes-tu sur l’avenir des soins de santé en Belgique ?
Joris : Il faut rester lucide : le budget global des soins est en hausse, mais le vieillissement de la population et la demande croissante en soins font que cette augmentation s’apparente en réalité à une économie par rapport aux besoins réels. Il faudra donc surveiller de près ce décalage. La pression sur notre système de santé va continuer de s’accentuer. Il est donc crucial que les mesures positives annoncées ne restent pas lettre morte, mais soient accompagnées de moyens suffisants. Nous devrons veiller en permanence à ce que les changements bénéficient effectivement aux plus vulnérables : personnes en grande précarité, sans-abri, sans papiers, réfugiées nouvellement arrivées… Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons bâtir un système de santé inclusif, équitable et véritablement efficace.
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