Personnes vulnérables et malades en Belgique : l'impact de l'accord de gouvernement sur l'accessibilité financière et l'accès aux soins
Quel sera l’impact de l’accord du gouvernement sur l’accès et l’accessibilité financière des soins de santé pour les personnes les plus vulnérables : personnes belges vivant dans une situation de pauvreté, personnes sans-papiers, usagères de drogues, réfugiées ou personnes sans-abri ? Pierre Van Heddegem, directeur des opérations belges, a pris connaissance de cet accord, et réagit.
Un meilleur accès aux soins pour les plus vulnérables
« Nous constatons certains éléments positifs concernant l'amélioration de l'accès aux soins pour les personnes vulnérables en Belgique. Par exemple, il est prévu de rendre les soins plus accessibles aux groupes et familles vulnérables, de référer les personnes sans-abri vers des soins de première ligne, d’accompagner les patients atteints de tuberculose, de prévoir un meilleur dépistage pour les femmes enceintes vulnérables et d'améliorer la prise en charge médicale et sociale des travailleurs et travailleuses du sexe.
Le soutien aux patients atteints de troubles psychiatriques graves va également être renforcé. Une aide importante pour les personnes sans-abri, qui souffrent fréquemment de ce type de troubles mentaux. En outre, il est prévu d'améliorer l'accès à la contraception et au prophylaxie pré-exposition (traitement préventif VIH) pour les personnes les plus vulnérables, et d'allouer des ressources supplémentaires au déploiement du plan de lutte contre le VIH/sida ».
Accès à une interruption de grossesse pour les femmes en situation de précarité
La réforme de la loi sur l'avortement est en débat depuis des années, et l’accord du gouvernement indique que ce débat se poursuivra sur base du rapport du comité d'experts, qui est également en discussion depuis longtemps. « La loi actuelle sur l'avortement est obsolète. Nous espérons que des décisions seront enfin prises au cours de cette législature. Médecins du Monde rappelle que l'accès à l'avortement est un parcours ‘de la combattante’ pour les femmes sans- papiers ou sans mutuelle. Elles doivent parfois attendre jusqu'à 9 semaines pour obtenir une réponse d’un CPAS. L'accès à une interruption de grossesse ne peut pas dépendre d’un statut administratif ou financier : cette politique discriminatoire doit être supprimée d'urgence ».
Médecins du Monde rappelle que l'accès à l'avortement est un parcours ‘de la combattante’ pour les femmes sans- papiers ou sans mutuelle
Victimes de violences sexuelles
« Il est positif que des efforts supplémentaires soient réalisés afin de soutenir les centres de soins, et qu’ils soient mis en place dans de nouvelles villes. Mais il est également crucial de s’assurer que ces soins soient accessibles aux femmes en situation de vulnérabilité ».
Chômeurs de longue durée
Les demandeurs d'emploi de moins de 55 ans ne recevront plus d'allocation après deux ans. Selon le Netwerk Tegen Armoede1, environ 90 000 personnes pourraient dépendre d'un revenu d'intégration du CPAS. Cette situation est problématique car ces revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté européen. De plus, des pistes sont étudiées pour remplacer partiellement ce revenu par une aide matérielle dans certaines situations, ce qui réduirait davantage le budget disponible. « Ceci aura un impact négatif sur l'accessibilité financière des soins : le risque est que les personnes qui n’ont plus droit au chômage et bénéficient d’un revenu d’intégration reportent encore davantage les soins de santé, ou ont encore plus de difficultés à les payer. Il est à prévoir que des organisations comme Médecins du Monde accueillent encore plus de patients et patientes dans leurs cabinets médicaux dans les années à venir ».
De l'allocation de chômage au revenu d'intégration : des administrations locales et des CPAS déjà surchargés
En limitant la durée de l'allocation de chômage, les charges fédérales sont transférées au niveau local: les personnes qui perdent leur allocation doivent se tourner vers le CPAS local pour demander un revenu d'intégration. Cependant, la charge administrative des CPAS est déjà énorme. Médecins du Monde craint qu’il y ait encore moins de ressources pour cet accompagnement social: « Nos assistantes et assistants sociaux sont déjà confrontés à des employés de CPAS structurellement débordés et peinant à répondre aux demandes d'aide médicale de nos patients. Les patients que nous rencontrons doivent parfois attendre des semaines, voire des mois, avant qu'une demande d'aide médicale ne soit traitée. Chez Médecins du Monde, nous craignons que cela ne prenne encore plus de temps à l'avenir pour que nos patients soient réintégrés dans le système de soins régulier. Entre-temps, nos patients ne pourront que se tourner vers nos centres de soins, antennes médicales ou bus médical ».
Chez Médecins du Monde, nous craignons que cela ne prenne encore plus de temps à l'avenir pour que nos patients soient réintégrés dans le système de soins régulier
Sans-abrisme et ‘piège de la pauvreté’
Selon le Netwerk Tegen Armoede et les Objectifs du Décennie, la nouvelle politique socio-économique entraînera un ‘piège de la pauvreté’ pour les personnes qui étaient déjà dans une situation vulnérable. En complément au manque de logements à louer abordables financièrement, cette situation risque de faire augmenter le nombre de personnes sans-abri, qui ne fait que croître depuis quelques années. « Nous nous attendons à accueillir encore plus de patients et de patientes dans nos cabinets médicaux dans les années à venir ».
Répression pour les personnes usagères de drogue
Sanctions immédiates pour les personnes usagères de drogue, tolérance zéro, sevrage comme condition d’obtention d’une aide sociale, dépistage obligatoire et surveillance renforcée en prison, internements forcés des usagères enceintes, pas de travail sur la réduction des risques : une approche répressive unilatérale pour les personnes usagères de drogues menace l'accès aux soins.
« Dans nos bus médicaux bruxellois et wallons, nous optons pour une approche de réduction des risques, sans jugement. Cette approche - bien que soutenue par l'expérience de ‘terrain’ et le milieu scientifique - est presque totalement absente de l'accord. Au contraire : la répression et la sanction sont au centre ».
Personnes sans-papiers
Il est positif que l'accès aux soins pour les personnes sans-papiers soit reconnu comme un droit humain et que l’on souhaite harmoniser la procédure d'aide médicale pour ces personnes. Médecins du Monde reste cependant vigilante afin que la simplification administrative mentionnée dans d'autres chapitres de l'accord s'applique également à l'accès médical pour les personnes sans-papiers.
« En ce qui concerne l'aide médicale pour les personnes sans-papiers, l'accord du gouvernement parle à la fois de 'contrôle plus strict' et de 'lutte contre les abus'. Le système actuel est déjà très complexe et lourd, suite aux mécanismes de contrôle existants. La méfiance du gouvernement fédéral est infondée : tout d'abord, il n'y a aucun signe d'abus des soins médicaux pour les personnes sans-papiers: les personnes sans-papiers ont moins accès aux soins que le reste de la population (manque de connaissance, obstacles linguistiques, lourdeur administratif, etc.). De plus, personnes sans-papiers qui se tournent vers Médecins du Monde le font souvent quand il est trop tard. Cela est non seulement préjudiciable pour la santé des patients eux-mêmes, mais aussi pour la santé et les dépenses publiques : la prévention est en effet bien moins coûteuse que le traitement ».
Personnes demandeuses de protection internationale
Il est mentionné, dans l'accord de gouvernement, qu'il est inacceptable que des personnes qui ont besoin de protection internationale passent la nuit dehors. Et plus loin, que la capacité d'accueil sera réduite. Selon 11.11.11.2: « Le gouvernement prévoit de réduire le réseau des Initiatives Locales d'Accueil :(ILA). Un choix incompréhensible étant donné que ces milliers de places ont une grande valeur ajoutée. De nombreuses personnes supplémentaires passeront donc la nuit dehors ».
De plus, l'accord indique que l'accueil sera simplifié et se concentrera sur 'les plus vulnérables'.
« Nous espérons que cela ne prolongera pas la politique des dernières années, selon laquelle seuls les femmes et les enfants étaient des personnes considérées comme vulnérables, laissant des dizaines de milliers d’hommes à la rue ».
Le nouveau gouvernement fédéral indique également assumer la responsabilité du suivi médico-psychosocial des personnes demandeuses de protection internationale, pour lesquelles aucun logement n'est prévu.
Il s’agit théoriquement d’une affirmation positive : ces dernières années, nous avons vu dans nos cabinets médicaux une augmentation considérable des personnes demandeuses de protection internationale renvoyées à la rue par Fedasil. Médecins du Monde, en tant qu’ONG humanitaire, estime qu’il est positif que le gouvernement prenne en charge le suivi médical et psychologique. Cependant, nous nous attendons à ce que des mesures soient prises simultanément (et en premier lieu) afin de garantir que les 3 000 personnes sur la liste d'attente puissent enfin être également hébergées. Avoir un logement est une condition essentielle pour être en bonne santé.
Enfin, selon la nouvelle législation, les personnes demandeuses d’asile peuvent uniquement bénéficier d’une aide matérielle. Il faudra veiller à ce que cela ne complique pas leur accès aux soins.
Semaine prochaine : l'impact international de l'accord de gouvernement sur l'accès aux soins : coopération au développement et migration.
2 https://11.be/documenten/federaal-regeerakkoord-doorgelicht-migratie
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