Pendant la pandémie de Covid, mes problèmes dentaires ont vraiment empiré : j’ai perdu quatre dents, car je ne pouvais pas consulter de dentiste. J’ai eu des soucis dentaires toute ma vie : caries, trous...

Lorsque les consultations ont enfin repris, j’ai eu toutes les peines du monde à trouver un.e dentiste conventionné.e. Et quand j’ai fini par obtenir un rendez-vous, il était trop tard : il a fallu tout arracher, car j’avais un énorme abcès.

Vu l’état de mes dents, j’aurais en fait besoin d’une nouvelle dentition. Mais qui peut se payer cela ? Certainement pas une mère célibataire comme moi. Je suis allée un jour chez un.e orthodontiste et j’ai failli m’évanouir. Pas à cause de la douleur, mais à cause du prix. Et depuis, ma situation s’est encore aggravée. J’ai des amis qui ont plus de moyens que moi, et quand j’entends ce qu’ils paient pour une couronne, je sais que je ne pourrai jamais me l’offrir. C’est tout simplement impayable. Et c’est encore pire pour les personnes réfugiées.

J’accueille des gens dans le besoin depuis 2017. A leur arrivée, ces personnes n’ont droit à rien : ni à un lit, ni à une douche, ni à de la nourriture. Entre-temps, certaines d'entre elles ont demandé l’asile et d’autres ont reçu des papiers; mais sans adresse fixe, elles ne peuvent pas travailler - ce qui les empêche de payer une garantie pour un appartement et de bénéficier de l’aide du CPAS.

De nombreuses personnes que j’accueille souffrent de problèmes dentaires. Je leur explique qu’elles n’auront accès à aucun soin dentaire, et je leur donne des clous de girofle et du paracétamol contre la douleur…

Mohamad, 43 ans, vient d’Ethiopie et est demandeur d’asile. Il a fui son pays en y laissant ses parents, car il y était menacé pour des raisons politiques. Depuis son départ, il n’a plus de contact avec sa famille.

Après un long parcours il est arrivé il y a plus de deux mois à Bruxelles, a dormi en rue pendant de longues semaines en plein hiver, puis il a (ponctuellement) trouvé une place dans un centre d’hébergement à Bruxelles.

Nadine, notre dentiste bénévole, le reçoit. D'un pas lent et fatigué, il la suit vers le cabinet dentaire. L’auscultation a été rapide car son état nécessite une hospitalisation : quatre dents de sagesse sont à extraire. Des larmes coulent soudain lorsqu’il semble comprendre…

Entretemps, Françoise, bénévole lui a trouvé une place d’hébergement dans un foyer pour le soir même. Elle lui donne plusieurs tickets de métro. ‘Thank you. I am happy. You explained me good. Life is sometimes very complicated’ (Je suis content, vous m’avez bien tout expliqué. [Mais ] la vie est parfois très compliquée). Il se lève lentement et quitte le cabinet dentaire.

Récemment, j’ai perdu une dent en mangeant un Snickers (barre chocolatée). Je n’ai pas les dents les plus solides du monde, mais quand même ! J’ai tout de suite pris rendez-vous avec un dentiste. C’était quelqu’un que je ne connaissais pas, car mon dentiste habituel avait déménagé. Je suis arrivé sur place, il était très gentil. Il a commencé par examiner ma bouche et a listé les différents soins nécessaires. Je l’ai tout de suite arrêté pour lui demander de se concentrer sur le plus urgent : ma dent cassée. Il m’a placé un plombage et au moment de payer, j’ai découvert que ce dentiste n’était pas conventionné. Il attendait un paiement de 232 euros par Bancontact. Je pouvais récupérer 70 euros par la suite, mais je ne comprenais pas à quoi correspondait ce montant.

Je comprends qu’une visite chez le dentiste ait un certain prix, mais il doit être communiqué à l'avance. Je dois savoir si le.la dentiste est conventionné.e ou non, à combien s’élèvera le prix de la consultation et ce que ce prix comprendra. À la boulangerie, on sait combien on paiera un pain, alors que chez le.la dentiste, on est dans le flou et on a l’impression qu’on nous cache des informations. J’ai payé les 232 euros demandés, sans savoir à quoi correspondait cette somme, mise à part la réparation de ma dent. Apparemment, une affiche signalait dans la salle d’attente que ce dentiste n’était pas conventionné. Mais c’est ça le problème : le.la patient.e doit se renseigner par lui.elle-même, or de nombreuses personnes ne pensent pas ou n'osent pas questionner. Et j’ai l’impression que les professionnel.le.s de la santé en profitent.

Je trouve que les dentistes devraient mieux communiquer sur les soins qu’ils comptent prodiguer, sur les raions de cette intervention et sur les matériaux qui seront utilisés. Ainsi, les patient.e.s pourraient savoir à quoi s’en tenir au niveau financier, et décider en conséquence.

Le paiement de ces 232 euros a eu un impact sur mon budget et m’a contraint à reporter mon rendez-vous suivant. Et je ne fais même pas partie des plus vulnérables en Flandre. J’ai un travail et un toit. Il y a un besoin urgent de transparence dans ce domaine.

Dans la salle d’attente, les deux sœurs jouent calmement avec des crayons sous le regard de leur maman, Mariana, roumaine. Les fillettes parlent roumain et français. La famille est déjà venue 4 ou 5 fois pour des caries et des infections dentaires. Maia, 7 ans, entre dans le cabinet de la dentiste. Piqure, soins, tout se passe sans pleur, ni plainte. ‘Elle a été très courageuse’, souffle la dentiste, Nadine, à sa maman.

‘Elle devra revenir dans 3 mois pour une visite de vérification’. Maia écoute calmement en grimaçant, sa bouche endormie lui fait encore un peu mal.

La dentiste ne pourra rien faire pour sa petite sœur. Alexandra, 4 ans, devra se rendre à l'hôpital Saint-Pierre, car elle a une infection dentaire qui empêche tout traitement au cabinet dentaire de Médecins du Monde.

Mariana : ‘Mon dossier au CPAS de Forest pour bénéficier d’une aide médicale urgente (AMU) n’est pas encore positif. Je suis reconnaissante de pouvoir venir en consultation gratuite ici. Pour le moment, je vis au centre du Samu à Auderghem avec ma famille depuis 4 mois.’

Chaque semaine, près de cinq personnes viennent nous voir avec de graves problèmes dentaires : ce sont des enfants, des adultes ou de personnes âgées. En général, cela fait déjà longtemps qu’elles reportent leur visite chez le dentiste, faute de moyens. Nous observons aussi des problèmes dentaires importants qui peuvent entraîner des difficultés à mâcher ainsi que des douleurs. Sans oublier les conséquences sur la santé mentale de ces personnes: elles souffrent et elles ont honte de se présenter ainsi. Elles ne parviennent plus à bien dormir, se sentent mal en groupe et ont des soucis de concentration liés à la douleur.

Les chiffres les plus récents pour la ville d’Anvers indiquent qu’un tiers des patients qui nous sont transférés souffrent de problèmes dentaires. C’est une proportion énorme. Actuellement, notre équipe ne compte qu’un seul dentiste à qui nous pouvons référer nos patient.es : il accueille quatre patient.es par semaine dans son cabinet, gratuitement et bénévolement. Mais va prendre sa retraite l’année prochaine.

Nous disposons d’un cabinet de dentiste flambant neuf, mais nous ne trouvons aucun.e dentiste pour y travailler. Pourquoi ? Parce que la plupart des dentistes en activité ont souvent de longues listes d’attente. Surtout lorsqu’ils ou elles sont conventionné.es, ce qui ne court pas les rues à Anvers.

La plupart de nos patient.es n’ont aucun accès aux soins de santé. Il s’agit de personnes sans-abri ou sans-papiers. Souvent, nous pouvons entreprendre une procédure pour qu’elles puissent bénéficier (à nouveau) de soins dentaires via le CPAS, la mutuelle ou Fedasil, mais nous en revenons toujours au même problème : les longues listes d’attente, conjuguées au fait que ces personnes ne peuvent pas se permettre d’attendre des semaines, voire des mois, avant de recevoir l’autorisation des instances concernées. Elles ont besoin de soins immédiats.

Médecins du Monde aide quatre personnes par semaine, mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan.

Nous constatons également que peu de gens s’occupent de leurs dents de manière préventive. Dès lors, nous distribuons des brosses à dents ainsi que des tubes de dentifrice, et nous expliquons comment bien se brosser les dents. Ce qui doit changer ? Il faut faciliter l’accès aux soins dentaires pour toutes et tous : un accès plus simple, plus transparent, et davantage axé sur la prévention.

Fofana a 40 ans et vient de Guinée Conakry.

C’est la deuxième fois qu’il vient au cabinet dentaire de Médecins du Monde. ‘La dentiste Nadine est géniale, vraiment. Elle m'a très bien soigné’. Il y a 7 mois, il était venu pour un premier plombage. Nadine lui explique qu’il y aura une dent à enlever, mais pour le moment il y a un abcès qui ne le permet pas. ‘Je reviendrai dans un mois inchallah’.

Les yeux gris-verts du grand Guinéen sourient. ‘Cela fait 6 ans que je suis à Bruxelles. Je n’ai toujours pas de papiers. Donc venir ici est plus facile. Je ne sais pas où je pourrais aller sinon.’

Fofana a rencontré l’équipe de Médecins du Monde au Médibus de la Gare du Midi. Puis il a aussi fréquenté le centre Athéna. Et aujourd’hui il revient une nouvelle fois au cabinet dentaire. ‘Médecins du Monde, je vous connais bien. C’est très bien ce que vous faites pour nous. Je dois y aller car je dois rentrer pour retrouver mes deux enfants de 4 et 2 ans et demi.’